On est au funérarium. Pourtant, il ne manque personne. Le groupe est au complet, ils et elles sont tous là, enfin tous sauf Ousmane, qui est là, mais sans y être.
Aujourd’hui, il ne dira rien, même quand on lui parlera.
On est en avril et plus de sept mois se sont écoulés depuis que filles et garçons se sont rencontrés ou retrouvés au sein d’une classe de troisième le jour de la rentrée scolaire.
On est au funérarium et c’est l’un des leurs qu’ils et elles accompagnent aujourd’hui, avec calme et simplicité, chacun veillant sur l’autre, tous se serrant les coudes. Le lieu et les circonstances renforcent leur lien. Ils sont plus qu’une classe, ils sont une famille.
CE QU'ILS EN DISENT :
« Après La Rentrée de tout un peuple et la rentrée de septembre, deuxième moment de la série " Tout un Peuple " de Patrice Luchet, avril.
Des ados sont au funérarium pour le départ de l'un d'eux. Ce n'est pas fun, fun, fun, a priori ; c'est en réalité fun-fun-fun-érarium ou funky funérarium, comme il y eut Funky collège auparavant. (...)
Assumant le pathos frontalement par ce titre (on peut difficilement faire moins feel good), il peut dès lors s'en dégager. Le gamin est mort. Il est mort, il est mort et il disparaît. C'est acté, on peut commencer sans chantage affectif sur l'issue.
À l'inverse, Patrice Luchet va justement partir de là pour allumer un contre-feu, celui de ce petit peuple solidaire, en communion, qui prend soin de lui, qui vit et qui veut croire dans la puissance de la langue pour dire ce que les éléments de langage stéréotypés des croque-morts sont incapables de formuler.
Le texte ne parle que de la vie, incandescente, celle qui nous brûle, nous consume. »
Julien d'Abrigeon
« Au funérarium » est le second volet (après « La rentrée de tout un peuple ») d’une série qui devrait comprendre douze livres et dont les adolescents (leur vie, leurs codes, leur rapport au monde) sont le sujet. « Au funérarium » est un texte court, dense, une nouvelle en vers libres, poignante et – c’est un paradoxe – terriblement vivante. On sait combien le regard de Patrice Luchet sur l’adolescence est précieux (il suffit de relire « Funcky Collège » ou « Déclarés MIE »), il excelle dans la révélation des détails, dans le subtil renversement des codes, ces moments où – sous son écriture terriblement rythmique – apparaissent les valeurs et les beautés du comportement adolescent. Vivement les dix prochains épisodes.
Éric Pessan
EXTRAIT
« (...)
Ousmane adorait ça
les dérapages
engager un processus
avec force et éclat
et laisser filer
pour voir
quelles étaient les conséquences
sans être certain
de pouvoir les maîtriser
si on devait résumer
sa vie d’adolescent
on en serait là
voir à quel moment
le contrôle échappe
et tout faire pour se mettre
dans cette situation
d’échappée belle
de brio
où le contrôle n’est plus possible
où le frein ne suffit plus
à contenir la vitesse
où la roue grésille
sur les gravillons
grave le sort
du conducteur
en équilibre provisoire
Ousmane vivait
pour ses moments
cette instabilité qui le rendait
seigneur
seigneur du bitume
Ousmane grand seigneur
Ousmane frayeur de pistes
(...) »